La Muse
Alors le mouvement commence, la lente montée du ressac, les vagues brisées, menteuses vengeresses érodant sa digue, son tremplin vers le beau. Il est dense, ce mouvement transi d’images, il percute, noie l’esprit, balaie les seuils et abandonne dans sa fuite temporaire des syllabes frétillantes, des poissons d’or aspirant de l’air dans une apnée mortifère. Il l’éventre, le vide sur la jetée, expose ses tripes sur la plage blanche. Il le couronne de dépendance, mannequin de son intention, il le délivre de lui, de son immobilisme, de cette manière toute particulière de justifier sa vie dans l’absence de rythme.
Il ferme les yeux quand elle arrive sa mue, il la devine nue, ses ongles dans sa chair, il lit à voix haute les lettres de son corps, voyelles dans les rondeurs, son dans les seins et consonnes dans la déchirure. Il s’inscrit dans sa peau, l’a fait sienne. Il déverse son verbe, sa faconde comme il féconde. Elle le regarde candide tueuse, elle le porte, le soulève, l’attache dans sa toile, elle l’allitère, le défait de ses chaînes.
Elle pousse sa main sur ses défenses, elle les démonte une à une comme elle le déshabille, unis dans l’impudeur des silences. Elle guide ses doigts entre les lignes, elle boit son buvard, elle le nourrit de lèvres à langue en murmurant les accents. Elle le vampirise en ventriloques, beat dans les valves du cœur, elle lui donne vie sa prophétie, son but, sa première envie et dernière impression.
Quand il ouvre les yeux dans la violence de l’écrit, il voit le visage pur de sa muse, bouche couchée de blanc, il la décrit dans ce qu’elle lui dicte. Il la désire dans toutes les positions où elle l’écartèle. Il lui promet des leurres, il lui vend ses os dans les changements de saisons, il se donne entier avec sa peur, sa crainte qu’elle s’échappe comme elle l’a frappé dans une attente sourde. Elle est là, filet de sable entre les phalanges, à n’exister que parce qu’elle est susceptible de disparaître. Il lui donne un nom, un passé, une mémoire, il l’inscrit dans l’avenir, il la lie Lys dans ses entre-lignes, il l’aime dans chaque mot qu’elle fait naître, dans chaque dessein qu’elle colore en lui. Elle est forte même si elle pleure entre les sourires, elle est sa barque, son courant, son lien vers le vrai. La nuit quand il s’enferme contre elle, il est plus libre que dans les bois de son enfance. Elle est tout dans tout ce qu’il écrit, dans chaque vers, elle l’apostrophe dans chaque strophe et lui sourit même dans les points. Suspension du temps, elle plane immense comme un ciel, elle lui dessine une larme, elle trace un sourire en travers et met du baume sur ses joues. Elle lui donne sens, il lui dresse un autel, il se prosterne en psaumes ventre à terre. Elle pose impériale son talon sur sa joue et il lèche son cuir les bras assujettis à ses mollets nus, le regard planté dans son con de syntaxe.
G.
5 Comments:
Ego said...
L’amusé.
Toi l’amusé, le complice de mes jeux sans dessus ni dessous, mot à mot, vers de terre miroir alouette, toi le partenaire du film muet sans sous-titres d’entre lignes, toi l’homme aux ailes cachées sous les crocs, toi l’ange déguisé en loup dans le sous-bois éden. Que va-t-il m’arriver, j’attends, le pire ou le meilleur de toi calqué aux extrêmes de moi. Que suis-je dans cette partie de mots en l’air, que suis-je et que vois-je ?
Je suis muse, oui mais sous le drap, qui gît, qui expire ? Ta muse est rêveuse, son âme est d’eau claire, son cœur est d’amour frêle, je ne suis faite que de ça : des bribes, mot à bout, pas à pas, des filets de vérités susurrées, de mensonges rougissants d’entrejambes délavées. Fanée la muse, fanée mais déployée, cherche l’erreur. Pétales toute beauté mise à nue, tu m’a dévêtue, prise et surprise, aérienne et envolée, je dis vague le large à grande marée par-dessus toi.
Toi mon amusé, ta douceur et ton souffle, parfois dans tes quatre murs resserrés, tu t’étouffes et tu te mœurs, j’ouvre la brèche - que pourrais-je faire d’autre, on me paye pour cela, mon métier, c’est l’amusement libéré, le muet décrié, l’inspiration offerte, abondante, fontaine de Jouvence, c’est mon rôle. Mon métier c’est d’être l’irréelle, la muse abreuvant le poète pèlerin passager. Mon salaire, c’est ton regard sur moi, tes mots poignards lumineux, tes mains de papier rassurantes sur mes yeux d’eau lumière. Mon ambition : te dévorer à l’échine, te vider à l’encre, te survivre au poème. Tu vois comme c’est clair, nous deux. Tout à y gagner, tout à y perdre. La muse, l’amusé, et les mots qu’ils se donnent.
Ne me vois pas comme une source. Vois-moi comme la source. L’élémentaire, le ravin du monde, l’Autour du monde, l’omniprésente, je suis, je suis, je suis, et ne suis rien d’autre.
Un jour, oui, tu me feras mourir. Tes mots seront voyageurs, infidèles, volages, estropiés. Tu te mentiras puis tu fermeras les yeux. Il n’y aura plus rien de mon visage dans l’iris. Peut-être un pâle cliché demeurera, les contours floués de moi dans ton esprit. Tu écouteras le vent, tu y chercheras encore mon chant, peut-être, mais tu ne trouveras plus rien de ma voix dans le silence. Je serais alors l’absente. Le souvenir, l’image, le pays lointain.
Un jour je ne serais plus. De la muse ne resteront que tes mots, humides par le temps qui passe, ensevelis sous d’autres mots amenés à la vie par d’autres muses. Je le sais, tu le sais, ne voilons rien de notre face, amusons-nous encore un peu, tant que les mots fusent, s’infusent et nous perfusent. Vivons encore un peu, mon amusé.
L.
Formules indiscrètes de passagères reines
Muses à règne fragile colportent pierres levées
Sur des tumulus meubles, Atlas à la corvée
Echinant l’éloquence balbutiée souterraine.
Nuque ployée sous l’eau des succions des gorgones
Le poète habité de voluptés pancraces
Traîne sa verve nue sur leurs reins d’histrionnes
Et rythme sa solitude dans l’huis clos de leur face
Et l’homme brise sa peau, possédé de musette
Et l’homme vide son chaos par tous ses pores d’attache
L’apprenti moduleur sous leur ferme houlette
Tamise ses ondées en fusées bravaches
Musolâtre intranquille, intoxiqué céleste
Aux lithiums de la nymphe, héroïne éphémère
Guettant les absolus dans le sel de ses gestes
Suçant la démesure tel un sang délétère !
Et viennent les heures mortes où plus rien ne s’évase
Des embouchures arides, des phalanges stériles
La Muse trépassée signe la fin des phases
Morbidesse fanée, exhalaisons futiles
Les ombres cacochymes, métastases du décompte
Agonissent de flou les lignes de ces vestiges
Paradigme perdu, sculpturale dérive
Le silence se clame aux dernières secondes…
W.
Nous sommes deux sœurs nées
De la même mère et bien assorties ;
Il n’y a de vie plus pénitente que la nôtre ;
Nous avançons dissimulées parmi le monde,
Qui tiendrait pour indécent,
De voir notre œil, a fortiori notre visage.
Une certaine nécessité
Nous voit souvent sans chemise ;
Nous rendons toujours ce que nous mangeons ;
Et de bien plus grand travaux nous souffrons :
Car à cause des péchés d’autrui
Nous sommes le doigt malade des afflictions.
Notre voix est un écho, par qui,
Avec raison, deux sens sont offensés ;
Et bien malgré nous, la courtoisie
Nous tiens au soliloque condamnées ;
C’est ainsi que va notre vie,
Chagrine en tout parce que recueillie.
La pipeuse masquée
MUSE2, subst. fém.
VÉN. Commencement de la période du rut chez les cerfs. La muse dure cinq ou six jours (Ac. 1835, 1878). Les grands mâles altiers reparaissent (...) les biches (...) attendent (...) l'heure des batailles, les nuits du brame et de la muse, le tonnerre des rugissants défis (GENEVOIX, Routes avent., 1958, p.124).
Étymol. et Hist. 1587 (DU FOUILLOUX, La Vénerie, c. XVII ds GDF.). Déverbal de muser* B, terme de cynégétique; cf. le déverbal muse «perte de temps, amusement», de muser* A (1174-87 CHRÉTIEN DE TROYES, Perceval, éd. F. Lecoy, 245). Bbg. SAIN. Sources t. 2 1972 [1925], p.57.
Les moult facéties vendémiaires du satyre
N’amusent que les gallinacés en muse d’ire
Où histrionisme convole sur les iris
Du flamboyant ramage déployé en abysse ?
La pipeuse masquée
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