Aujourd'hui maman est morte
Elle a arraché mon sourire comme un tissu de chair à vif. Elle m’a dit « on vit en saignant et on est élevé dans des cages faites de ruban de mère ». Quand elle s’est tue, qu’elle a lâché ma main, la sienne froide et dure avec son air crispé dans la bouche bleuie, j’ai retenu mes larmes, le plus étonnant ce fut ce vide immense, vague et prenant, comme si son vol stationnaire imprimait le silence. J’ai regardé ses traits, ceux que j’avais tant de fois caressés, ceux qui allaient disparaître avec elle dans la tombe, le caveau, le trou, la terre et les merdes de limaces et de vers qui grouillent comme des chœurs de vermine. J’ai imaginé sa poussière flotter dans l’ombre noir de la profondeur, j’ai entendu son râle m’appeler et m’extirper hors de moi. Elle criait ma mère, son hystérie et sa colère, elle criait sa peur, sa béance, elle m’attirait dans son ventre, je retournais dans sa chatte, elle m’aspirait en hurlements, en convulsions, elle allait me faire naître ma mère, elle m’attirait la gueule mauve, avec les joues écrasées. Je pleurais en rampant, je pleurais sur ses cuisses, sa main décollée de mes cheveux, je disparaissais en elle pour m’épuiser, je fuyais, je courais sous sa jupe, je la pénétrais lentement…
G.
2 Comments:
Aujourd'hui, maman est morte. Oui: aujourd'hui maman est morte. Et après. Grâce à toi peut-être ? Avec un simple poignard butant comme le coït ? Et tout ce sang sur tes mains, sur ta blouse, cette haine dans tes yeux en devraient être la preuve indubitable ?
Mon pauvre vieux à qui vas-tu faire croire ça ?
Elle est peut-être morte par le canal de ta haine mais sûrement pas sans l'avoir décidé, elle ! Et sans que l'aient décidé les autres aussi…
Les dizaines d'autres qui 25 ans durant ont désiré en avoir le courage. Tu sais combien nous la haïssions tous au sein même de la cellule familiale. Tu sais combien la couardise et le sens moral en chacun de nous oeuvraient fermes à nous couper les bras.
Mais as-tu lu le regard de terreur et d’exécration des maîtresses que père ramenait à la maison avec une incurable inconscience ? Non. Tu étais trop jeune à l'époque…
Tu penses toi naïvement être le seul responsable. Mieux : coupable… ? Comme si cette lente conspiration larvée en ton cœur, eût été ébauchée de ta seule main obstinée à tenir absurdement close des lèvres prête à se sceller d’elle-même.
Comme si tu pouvais impunément chérir la paternité d’un évènement qui n’avait que du fait commun libéré ses énergies...
Mon pauvre vieux ce que tu affirmes là n'est plus de l'ordre de l'absurdité mais de la sottise ! Et c'est le sens absolu qui te lâche à présent au profit de... quoi d'autre ?!
Non. Ce n’est pas seulement par ton geste que c'est advenu. Il faudrait compter, une à une, toutes ces rancoeurs lentement fomentées, sous des cieux très divers, toutes ces nuits passées dans la torpeur invalide, sans que son patronyme ne puisse être seulement évoqué.
Et compter aussi les monologues interminables, le poing brandi face à la légion de résurgences insoutenables, les grincements de dents devant le miroir chaque jour, presque semblables à celui du précédent, un degré de malveillance plus loin, sinon ce regard dans la vitre: puis-je être un criminel et continuer de me supporter en reflet ?
Alors non ce n’était pas ton oeuvre. Non, ce n'est pas autour de ton poignard que la chair s’est décousue, mais sur celui, à travers le tien, de centaines de rancunes semblables.
Et ce n'est pas non plus la surprise que tu lui inspiras à elle qui te permit de porter le coup fatal. C’est l'assentiment et la fatigue de vivre en n'étant plus qu'une figure mythique à sauvegarder d'infamies croissantes et reconductibles, qui ont tendu son coeur vers ta lame quelques secondes après que tes remous intimes eurent décidé d'en finir à jamais – l’assentiment encore qui t'a laissé la saisir par la nuque malingre, qui d'impulsion répliquait de deux bras s’agrippant à toi, raides d'échinement.
Tout cela s'est conjoint pour animer ta main...Et tu te figures sans doute que je vais te laisser t'infatuer de 25 ans de détention pour de simples concours de complaisances ?
Aujourd'hui maman est morte d’intentions criminelles multiples et d'épuisement renouvelé à y survivre. Toi tu l'as juste tuée.
C
Aujourd’hui Maman est morte. Fallait pas me greffer un organe en surplus, poumon surnuméraire, ce palpitant externe.
Maman est morte et avec elle tous ceux qui l’avaient réifiée : toutes ces générations de matrices véhémentes, toutes ces générations de mamelles allaitantes, toutes ces générations d’effacées mammifères.
Maman.
Raconte ma respiration, toi qui en subis les torsions, dame moi le pion, scelle l’exaction, dénude l’oubli dans l’illusion, à qui servaient ces fragiles dévotions ?
Maman est morte, et l’Autre naît.
C’est d’abord comme un son, une cavité qui tangue un navire qui s’effondre par une houle impétueuse, l’air qui ne nourrit plus, le cordon mortifère, pérenne servitude, adieu…
Une main à cent griffes, à mille positions, à mille déflagrations, à la vitesse du son, celle des mots profusions : reproduction !
Et la cible émouvante, le point de mire fragile, c’est ce corps qui s’effraie sous l’appeau de la loi de l’Horloge biologique.
Tic tac…
Maman.
Processus synthétique, ces mots ne sont pas miens, qui parlait dans ma voix ?
Putain, je m’éloignais, de plus en plus ténue, de plus en plus gonflée, inoculée docile, les schémas décalqués sur l’hérédité molle : je devais m’effacer, engloutie sous le suif.
Nymphose osmose, ne faire qu’une avec la suite, disparaître peu à peu sous le volume de peau, gonflée comme une voile, migration adipeuse : la rédemption graisseuse, vêlage d’impétueuse, maman est morte et toi, regarde : le rejeton mortuaire, n’est plus qu’un magma de tripaille incongrue. Fallait pas me greffer un organe excédent…
La grande conflagration des hontes ultérieures, et les séances posthumes de souvenirs modulés… oh je pourrais vous dire que je regrette l'acte, et fuir dans l’insondable, dans l’air déjà vicié. Où iraient résonner échos des repentirs ? Fallait pas me greffer d’organe surnuméraire, je me suis amputée de l’incommodité.
Maman est morte, je peux renaître.
Enfin.
W
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